En près de trente ans de vie politique, le président Jair Bolsonaro n’a jamais caché son hostilité envers les populations LGBTQI+22, comme en témoignent ses innombrables saillies homotransphobes. Lors des élections présidentielles de 2018, il a pris pour cibles les mouvements féministes et LGBTQI+, les présentant comme une menace pour la « famille traditionnelle brésilienne » et pour l’ordre moral chrétien. Un rapport de Gênero e Número souligne que 51 % des personnes LGBTQI+ interrogées affirment avoir subi au moins une agression (dont 83 % dans des espaces publics) pendant la période électorale . Selon ses auteur·ice·s, ces chiffres révèlent avant tout une « une expression du processus bien plus ample de légitimation des discours discriminatoires et offensifs », portée en premier lieu par le candidat Bolsonaro24. 
 
Le Brésil reste officiellement en 2022 le pays où l’on tue le plus de personnes LGBTQI+ au monde. Le dernier recensement du Grupo Gay da Bahia fait ainsi état de 300 individus issus de la communauté queer tués ou poussés au suicide en 2021 — soit une personne toutes les vingt-neuf heures26. Si les personnes trans représentaient 76 % des victimes de mort violente de LGBTQI+ en 2020(27), les homosexuels sont le groupe le plus atteint par la violence létale en 2021 et en nombre absolu depuis quarante ans28. La même année, l’Association Nationale des Travestis etTransexuel·les (ANTRA) déplore dans son dernier rapport l’assassinat de 140 personnes trans — soit une augmentation de 141 % par rapport à 2008(29). Entre 2017 et 2021, 80,6 % d’entre elles étaient noires ou métisses et se trouvaient en situation de grande précarité30. 
L’exposition quotidienne à la violence de la population LGBTQI+ s’est conjuguée ces deux dernières années à celle du virus de la Covid-19. Dans son enquête datant de 2021, Gênero e Número révèle que cette population a été financièrement et psychiquement précarisée pendant la pandémie : 6 personnes LGBTQI+ sur 10 ont perdu une source fixe de revenu, 4 sur 10 ont basculé dans une situation d’insécurité alimentaire et plus de la moitié ont connu une détérioration de leur état de santé mentale. Au sein de la communauté queer, les trans et travestis ainsi que les LGBTQI+ racisé·e·s sont les catégories les plus impactées par la crise sanitaire31. 
                                        
Même si le professeur en droit Renan Quinalha ne constate pas de « changement formel dans la garantie des droits32 » de la population LGBTQI+ depuis l’arrivée de Jair Bolsonaro au pouvoir, il affirme néanmoins que le débat public sur le genre et la sexualité au Brésil a été « contaminé » par un « obscurantisme pervers qui a déjà produit des conséquences dans l’imaginaire brésilien33 ». Cet obscurantisme se manifeste notamment dans la ligne conservatrice et rétrograde de la ministre de la Femme, de la Famille et des Droits Humains, la pasteure évangélique Damares Alves. Ancien pilier du lobby chrétien au Parlement, elle a affirmé par le passé qu’il existait une « dictature gay34 » au Brésil, a accusé les associations LGBTQI+ de promouvoir « l’idéologie de genre35» et a milité contre le droit à l’avortement. Une fois entrée au gouvernement, elle a soutenu des groupes favorables aux thérapies de conversion36, exclu les familles homoparentales d’une campagne officielle de son ministère et n’a pas dépensé un seul réal en faveur de politiques publiques destinées aux populations LGBTQI+ en 2020(37). 
                                                
Malgré un climat politique plus que défavorable, des avancées en matière de droits et d’inclusion sont à noter depuis 2019 : criminalisation de l’homophobie et de la transphobie par le Tribunal Suprême Fédéral38 ; levée de l’interdiction pour les minorités sexuelles et de genre de donner leur sang39 ; application de la loi Maria da Penha contre les violences domestiques faites sur les femmes trans40 ou encore record mondial de candidatures de trans et travestis aux élections municipales de 2020 41. Triomphalement élue conseillère municipale de São Paulo cette année-là, la militante noire et travesti Erika Hilton est aujourd’hui à la tête de la Commission des Droits humains de la plus grande métropole d’Amérique latine. Son mandat est marqué par une variété d’actions concrètes en faveur de celles et ceux qui sont traditionnellement exclu·es des politiques publiques : population trans, réfugié·e·s, sans- abri, travailleur·euse·s du sexe, habitant·es des périphéries…42 En 2021, le prestigieux magazine états-unien Time l’élève au rang de « leader de la nouvelle génération43 ». 

Exemple de résistance : COLLECTIF TIBIRA : RÉSISTER ET (RÉ)EXISTER EN TANT QU’AUTOCHTONE LGBTQI+

Fondé en pleine montée du bolsonarisme en 2018 par des jeunes LGBTQI+ issu·e·s de différents peuples autochtones du Brésil, le Collectif Tibira entend depuis faire peser leurs revendications. Il tire son nom de celui d’un guerrier intersexe et homosexuel de l’actuel État du Maranhão, le premier à être condamné à mort dans l’histoire du Brésil pour pratique sexuelle jugée déviante aux yeux du pouvoir colonial 44. Actif sur les réseaux sociaux, le Collectif a su gagner en notoriété en participant à de nombreux webinaires, à des campagnes publicitaires ou encore à de grands événements à l’image de l’AcampamentoTerra Livre (CampementTerre Libre), qui a lieu chaque année à Brasilia. 
                                                
Dans un pays caractérisé par les violences structurelles racistes et hétérosexistes, dirigé par un gouvernement favorisant l’invasion des terres des peuples autochtones, ces militant·e·s incarnent la nécessité d’une lutte intersectionnelle au sein des mouvements sociaux brésiliens. Le CollectifTibira dénonce non seulement le racisme que ses militant·e·s subissent dans le mouvement LGBTQI+ et en milieu urbain, mais aussi l’homotransphobie au sein de leur communauté d’origine : « Être autochtone et LGBT comme moi exige de lutter doublement : nous sommes victimes de LGBTphobie dans nos villages et quand nous sommes ailleurs, victimes de racisme 45 », explique Kiga, cofondatrice du collectif. 
                                                
À travers leurs publications, les militant·e·s de Tibira tentent de déconstruire les nombreux préjugés et stéréotypes à la fois sur les peuples autochtones et sur la communauté LGBTQI+. L’une de ces idées est que l’homosexualité ou la trans- identité n’existeraient pas au sein de leurs aldeias (villages) : « D’un côté, dans la tête des gens, être LGBT est quelque chose de récent, de l’ordre de la mode et de la modernité. De l’autre côté, dans leur imaginaire, être autochtone appartient au passé. Ils ne comprennent pas que l’on peut l’être les deux en même temps !46 » observe ainsi Kiga. Dans un mouvement queer dominé à bien des égards par des hommes cisgenres, blancs et gays issus des centres urbains, leur page Instagram leur permet de créer un espace de représentativité en offrant une plus grande visibilité aux Autochtones LGBTQI+ et à leurs préoccupations spécifiques : « On a créé ce compte non seulement pour nous faire connaître, pour nous “empuissancer”, pour permettre aux personnes concernées de trouver une plateforme de soutien, mais aussi pour nous faire respecter […]. On met en valeur des textes originaux et des réflexions à propos du fait d’être autochtone et LGBTI 47 », précise Kiga. 
 
Imaginé comme un « réseau de résistance » permettant aux jeunes autochtones LGBTQI+ de se « fortifier », le Collectif Tibira a réussi à s’imposer dans le paysage militant national. Il dénonce à la fois les crimes racistes et homotransphobes qui touchent leur communauté et l’augmentation considérable des invasions illégales de leurs terres ancestrales depuis l’arrivée de Jair Bolsonaro au pouvoir. 

 

 
Les chiffres :
 
– Une augmentation de 47% des assassinats de personnes trans dans les 10 premiers mois de 2020, par rapport à la même période en 2019 .
 
300 individus issus de la communauté queer tués ou poussés au suicide en 2021

 

Citation

« Je fais partie d’un Brésil qui est très certainement celui que le gouvernement ne souhaite pas montrer. Mais pourtant, c’est un Brésil qui existe ! C’est celui des travestis […] Le Brésil est le pays du football, mais c’est aussi le pays des travestis ! » 
                                                
Linn da Quebrada, chanteuse et actrice travesti 

 

Notes :

22. Nous parlons ici des lesbiennes, gays, bisexuel·le·s, trans/ travestis, intersexes, queer et plus, regroupé·e·s sous le sigle LGBTQI+. 
 
23. BULGARELLI, Lucas et al., « Violence contre les LGBTs+ dans le contexte électoral et post-électoral » [PDF en ligne], Gênero e Número, 2019. 
 
24. Ibid, p.61 
 
25. Cité par TAVARES, Joelmir. « Pour 74 %, l’homosexualité doit être acceptée par la société » [en ligne], Folha de São Paulo, 27/10/2018.                                                  
                                                        
26. MOTT, Luiz et al. « Morts violentes de LGBTI+ au Brésil – Rapport de 2021 » [PDF en ligne], Grupo Gay da Bahia, mars 2022, p.2. L’association rappelle que leurs chiffres sont probablement sous-estimés, car elle ne prend en compte que les meurtres qui ont été notifiés sur les réseaux sociaux, dans les médias et dans les commissariats.                                                  
                                        
27. MOTT, Luiz et al. « Observatoire des morts violentes de LGBTI+ au Brésil en 2020 » [PDF en ligne], Grupo Gay da Bahia, 2021. En 2021, l’espérance de vie d’une femme trans au Brésil était de 35 ans, contre 80 ans pour une femme cisgenre. Voir : ALVES, Juliana. « “L’espérance de vie d’une femme trans au Brésil est comparable à celle du Moyen Âge”, affirme une avocate », CNN Brasil, 21/06/2021. 
                                        
                                                        
28. MOTT, Luiz et al. « Morts violentes de LGBTI+ au Brésil – Rapport de 2021 », doc. cit., p.34.                                                  
                                                        
29. BENEVIDES, Bruna G et al. « Dossier sur les assassinats et les violences contre les travestis et transexuelles brésiliennes en 2021 », ANTRA, 2022, p.31.                                                  
                                                        
30. Ibid, p.51                                                  
                                       
31. PEREIRA, Bru et al., « Diagnostic des LGBT+ pendant la pandémie – 2021 » [PDF en ligne], #VoteLGBT, juin 2021. 
                                        
32.QUINALHA, Renan. « Les droits des LGBT sous le gouvernement Bolsonaro » [en ligne], Le Monde diplomatique Brasil, 31/06/2019. 
                                        
33. Ibid. 
                                        
34. Rédaction du Diário do Nordeste, « Damares Alves : les phrases polémiques de la future ministre de la Femme et des Droits humains », Diário do Nordeste, 12/12/2018. 
                                        
35. L’expression « idéologie de genre » (parfois aussi appelée théorie du genre) est un argument rhétorique servant à discréditer non seulement les mouvements féministes mais aussi l’existence de l’identité de genre en elle-même. 
                                                
36. PUTTI, Alexandre. « Damares reçoit un groupe d’ex-gays et de psychologues qui défendent la thérapie LGBT » [en ligne], Carta Capital, 28/08/2019. 
                                                
37. CARVALHO, Igor. « Damares n’a dépensé que 53 % des ressources disponibles pour son ministère en 2020 » [en ligne], Brasil de Fato, 27/01/2021 et MINERVINO, Thiago. « Bolsonaro ignore les droits LGBT dans son plan de gouvernement » [en ligne], Observatorio G, 2019. 
                                                
38. OLIVEIRA, Mariana. « Le STF permet la criminalisation de l’homophobie et de la transphobie » [en ligne], G1, 13/06/2019.                                                          
                                                                
39. OLIVEIRA, Joana. « En une décision historique : le Tribunal Suprême Fédéral renverse la restriction de don du sang des homosexuels », El País Brasil, 08/05/2020      
 
40. CESAR, Caio. « Maria da Penha s’applique également aux violences domestiques contre les femmes trans » [en ligne], Carta Capital, 07/04/2022. 
                                                
41. RUPP, Isadora. « Le pays le plus transphobe du monde détient le record de candidatures de personnes trans en 2020 » [en ligne], El País Brasil, 12/11/2020. 
                                                
42.Voir son site internet qui recense ses actions : www.erikahilton.com.br 
                                                
43. NUNGENT, Ciara. « Cette femme politique trans se bat pour
le changement au Brésil — malgré les dangers » [en ligne], Time Magazine, 13/10/2021.