Après avoir atteint le chiffre record de 59 128 homicides pour l’année 2017, les données sur la violence au Brésil entre les années 2018 et 2021, consolidées par le Forum Brésilien de la Sécurité Publique, montrent une baisse prononcée de celles-ci. Si les chiffres restent encore très élevés, on observe en 2021 une baisse de plus de 28 % du nombre de victimes létales (41 069 homicides) par rapport à 2018. 
 
Cette réduction cache néanmoins la permanence d’une structure sociale faite d’inégalité et d’arbitraire. D’une part, la réduction globale du taux d’homicides s’est concentrée beaucoup plus sur la population non noire que sur la population noire. De l’autre, la violence meurtrière des forces de l’ordre au Brésil a atteint un nouveau record. 
 
En 2020, les personnes noires représentaient 76,2 % des victimes d’homicide, avec un taux de 29,2 homicides pour 100 000 habitants. En comparaison, le taux pour les personnes non noires était de 11,2 pour 100 000. Il est donc 2,6 fois plus probable qu’une personne noire soit assassinée qu’une personne non noire au Brésil. De même, en 2021, les femmes noires représentaient 61,8 % de toutes les victimes de féminicides au Brésil2. 
 
Si Bolsonaro cherche à capitaliser électoralement sur cette chute du taux d’homicides, on observe entre 2018 et 2020 une forte augmentation du nombre d’assassinats commis par les forces de l’ordre dans le pays. Les données disponibles montrent que, chaque année, les polices brésiliennes — militaires et civiles — tuent davantage3. En 2020, le pays a compté jusqu’à 17,6 décès par jour4. Ce sont 6 416 victimes des violences policières (soit 3,9 % d’augmentation par rapport à 20185 et 24 % pour 2017), ce qui correspond à 12,8 % de l’ensemble des morts violentes intentionnelles du pays. 
 
Comme pour l’ensemble des homicides, cette violence policière est ciblée. En analysant les statistiques de 2020, on constate que 78,9 % des victimes étaient noires. Un taux comparable à celui de 2019 (79,1 %), en légère augmentation par rapport à 2018 (75,4 %). La stabilité de l’inégalité raciale inhérente à la létalité policière au cours des dernières décennies est l’expression même du déni des droits fondamentaux auxquel est soumise la population noire dans le pays. 
 
Les personnes noires sont d’ailleurs statistiquement surreprésentées parmi les victimes de létalité policière. Alors que près de 79 % des victimes sont des personnes noires, celles-ci ne représentent que 56,3 % de la population brésilienne. Cela revient à dire que la létalité policière à l’encontre de la population noire est 2,8 fois plus élevée que pour la population blanche6. Des inégalités similaires sont observées dans le profil de la population carcérale du pays, dont deux tiers des 673 614 personnes privées de liberté en 2021 sont noires7. 
Différentes clés d’analyse permettent de comprendre l’ampleur et le caractère politique de l’évolution de ces violences policières dans la dernière période. Durant son mandat, le président Jair Bolsonaro ne s’est jamais exprimé au sujet des victimes de violences policières. Un silence retentissant dans certains cas, comme celui de João Pedro, 14 ans, tué par balles lors d’une opération de police le 18 mai 2020, ce qui a conduit le Tribunal Suprême Fédéral à prendre des mesures pour interdire les opérations pendant la pandémie. 
 
La diffusion et intensification d’un discours qui exalte la brutalité et la violence policière contre la criminalité s’est traduite en politique publique pendant le gouvernement Bolsonaro. À titre d’exemple, le ministère de la Famille, de la Femme et des Droits humains, dirigé par Damares Alves, a supprimé les don- nées sur les violences policières du rapport 2019 du gouvernement sur les plaintes reçues par le ministère via des appels téléphoniques anonymes8. 
                                                                                 
Face à ce qu’elles appellent un génocide de la population noire, des mères et familles des victimes de ces violences policières se mobilisent sans répit pour que ces crimes ne restent pas impunis et ne se reproduisent plus. Elles font entendre leurs voix, dénonçant le climat de terreur qui règne dans les quartiers populaires et la violence qui vise en particulier les jeunes noir.e.s. Elles se mobilisent pour la mémoire de ces enfants assassiné.es et pour obtenir justice de la part d’un État de plus en plus sourd à leurs demandes. Plutôt qu’une réponse militarisée, elles plaident pour des politiques publiques garantissant un accès équitable aux droits. 

Exemple de résistance : L’INSTITUT MARIELLE FRANCO

L’Institut Marielle Franco est une organisation à but non lucratif créée par la famille de la conseillère municipale assassinée en mars 2018. L’institut cherche à inspirer, connecter et donner les moyens aux femmes noires, LGBTQIA+ et apparentées de continuer à faire bouger les structures de la société pour un monde plus juste et égalitaire. Parmi ses activités, il est important de souligner la publication d’une bande dessinée sur les origines et les premiers pas de Marielle Franco, son enfance et son adolescence. Il s’agit d’un outil pour inspirer des milliers de jeunes (de tous âges) à s’engager pour la justice sociale. 
 
Par ailleurs, une enquête inédite auprès des candidates au poste de conseillère municipale a été menée en 2020. Cette enquête a identifié les types de violence qu’elles subissent et les auteurs de ces violences. Parallèlement à cette recherche, l’institut a lancé la plateforme Não Seremos Interrompidas (Nous ne serons pas interrompues), afin de faire pression pour que des mesures concrètes soient prises pour lutter contre la violence politique à l’encontre des femmes noires.  

 


Les chiffres :
 
Il est 2,6 fois plus probable qu’une personne noire soit assassinée qu’une personne non noire au Brésil

 

-La létalité policière à l’encontre de la population noire est 2,8 fois plus élevée que pour la population blanche

– Deux tiers des 673 614 personnes privées de liberté sont noires
 

Citation

« Nos cicatrices ne seront jamais effacées. Nous renforcer sans cesse est notre programme, sans romantiser le combat, qui a toujours été ardu. Ils ont essayé de nous enterrer, mais ils ont oublié que nous sommes des graines. » 

Débora Silva Maria (fondatrice du Mouvement mères de mai et du Réseau national des mères des victimes de la violence policière) dont le fils a été assassiné en mai 2006 à Santos. 

 

Notes :

1. Baromètre d’alerte sur la situation des droits humains au Brésil 2019. 
 
2. « A violência contra pessoas negras no Brasil », infographie du Forum Brésilien de la sécurité publique, 2021.                                                  
                                                        
3. « Au-delà du monopole de la violence légitime », Observatoire de la démocratie brésilienne, mars 2020.                                                  
                                                        
4. Annuaire Brésilien de Sécurité Publique, 2021.                                                  
                                                        
5. Baromètre d’alerte sur la situation des droits humains au Brésil, 2019.                                                  
                                
6. Voir l’infographie de l’Annuaire Brésilien de Sécurité Publique 2021 préparée par le Forum Brésilien de Sécurité Publique. 
                                        
7. Enquête nationale sur les informations pénitentiaires. Ministère de la Justice et Sécurité Publique du Brésil. 
                                
8. Voir des articles de la presse brésilienne comme ceux publiés par le journal O Globo, Estadão ou le magazine Carta Capital.