Des dizaines de personnes font la queue devant une boucherie pour acheter des restes de viande ou plongent dans les bennes à ordure d’un supermarché à la recherche de nourriture. Ce sont les scènes d’un pays où 59 % de la population est en situation d’insécurité alimentaire en 2022, 15,5 % au moins étant confrontées à son visage le plus brutal : la faim !76 
                                        
Le Brésil avait éradiqué l’insécurité alimentaire grave en 2014 mais elle est de retour, en quelques années seulement. 33 millions de personnes ne mangent pas à leur faim : l’équivalent de la population du Pérou ou de l’Autriche, de la Hongrie, de la République tchèque et de la Slovaquie réunies. 
                                                
Cette situation est encore plus dramatique dans les zones rurales, où l’insécurité alimentaire touche 60 % des ménages et où la faim est une réalité pour 19 % des foyers. Qu’il s’agisse d’agriculteurs familiaux, de quilombolas77, d’autochtones ou de communautés traditionnelles, les différentes formes d’insécurité alimentaire touchent davantage les populations rurales, notamment dans les régions du Nord et du Nord-Est. 
                                        
La faim et l’insécurité alimentaire reflètent les inégalités structurelles historiques du pays. La couleur de la peau, le genre ou la position dans le marché de travail sont des indicateurs aggravants et se conjuguent aux inégalités régionales et spatiales du Brésil 78. L’enquête nationale sur l’insécurité alimentaire79, menée en 2022 par le Réseau national de chercheurs sur la souveraineté et la sécurité alimentaires au Brésil (Réseau PENSSAN), montre que 65 % des familles en situation d’insécurité alimentaire avaient une personne noire à leur tête, et que 18 % d’entre elles sont en situation de famine. 
                                        
La place au sein du marché du travail est aussi fortement liée à l’insécurité alimentaire et la faim : cette dernière est quatre fois plus élevée chez les personnes ayant un travail informel, et six fois plus élevée pour celles et ceux au chômage. L’enquête du Réseau PENSSAN révèle que la perte de l’emploi et l’endettement sont les deux conditions qui impactent le plus l’accès à la nourriture. Dans les deux cas, la faim atteint son niveau le plus élevé, soit 36 % et 25 % des personnes respectivement 80. 
                                        
Parmi les facteurs qui expliquent cette explosion, on trouve l’inflation galopante qui touche le pays. Début 2022, celle-ci a atteint son plus haut niveau depuis octobre 2003 : 12,13 % cumulée dans une année, selon l’indice national des prix aux consommateurs établi par l’IBGE81. La situation est aggravée par le fait que cette hausse de prix s’est concentrée sur les produits alimentaires tels que le riz, le haricot noir, l’huile de soja et la viande82. 
                                        
Les 50 % des Brésilien·nes les plus pauvres ont été ainsi les premiers à ressentir les effets de l’inflation. Entre le dernier trimestre 2019 et le deuxième trimestre 2021, leur revenu mensuel moyen s’est contracté de 21,5 %83. Le nombre de personnes endettées a par la suite fortement augmenté : de 61,3 millions de personnes fin 2020, elles sont 64 millions un an plus tard. Près de 70 % des personnes endettées le sont devenues pour acheter de la nourriture 84. 
                                        
Les mesures prises par le gouvernement fédéral pour faire face à cette crise ont été peu efficaces. Par exemple, le programme « Aide d’urgence », principale mesure d’aide sociale adoptée au milieu de la crise générée par la pandémie, et devenu « Aide Brésil » à la fin de 2021, n’est pas suffisant pour garantir l’alimentation de base de la population85. 
                                                
Bien que la faim ait été aggravée par la crise générée par la pandémie, la situation actuelle met en évidence les faiblesses préexistantes du système alimentaire brésilien. 
                                                
Troisième producteur mondial d’aliments en 2020 selon la FAO, le Brésil n’a cessé de battre des records dans l’exportation des produits alimentaires, passant de 85 milliards de dollars en 2016 à 120 milliards en 202186. Pendant la même période, l’agriculture familiale, bien que représentant environ 80 % des établissements agricoles et produisant une part importante des aliments consommés au pays, n’occupait que 23 % des terres exploitables87 et a subi la disparition des politiques publiques de soutien.                                                                                
                
Rien d’étonnant pour un gouvernement qui place l’agrobusiness au centre de ses politiques alimentaires et agricoles, qui stimule les investissements étrangers dans le secteur agricole et assouplit les restrictions imposées aux étrangers pour l’acquisition ou le fermage des terres agricoles au Brésil, qui a éteint le Consea (Conseil national de la sécurité alimentaire et nutritionnelle), emportant également avec lui le Système de sécurité alimentaire et nutritionnelle (Sisan). 
                                                
Au Brésil, la sécurité alimentaire est un droit inscrit dans la Constitution et garanti par une législation spécifique depuis 2006. Pour faire valoir ce droit fondamental, dans le contexte de la crise exacerbée par la pandémie, la société civile brésilienne, dans sa pluralité, reste mobilisée aux côtés des couches les plus vulnérables, multipliant les dons d’aliments. Elle est bien souvent le seul recours pour affronter la faim. Les différentes organisations appellent à des politiques de long terme qui permettent de garantir le droit à une alimentation saine pour tou·te·s. 

Exemple de résistance : SOLIDARITÉ PAYSANNE EN TEMPS DE PANDÉMIE

 

Une action de la campagne Mãos Solidárias (« Mains solidaires »), organisé par le MST de Pernambuco, a permis d’apporter de la nourriture aux personnes affamées et de rapprocher la ville de la campagne avec l’organisation de visites dans les champs pour enseigner comment le travail est effectué et permettre à la population de participer à la culture de la terre. 
                                                
Le Roçado Solidário (« Champ Solidaire ») est né pour aider à réduire l’impact de la faim dans la région de Recife, qui n’a fait que croître depuis la pandémie de covid-19. Le mouvement a créé des banques populaires qui ont déjà distribué plus de 900 tonnes de nourriture. Les produits sont également utilisés pour préparer les repas offerts. Pendant la seule pandémie, environ 950 000 repas à emporter ont été produits à partir des récoltes paysannes. Les cultures sont réalisées dans divers territoires de la réforme agraire du MST, qui réservent une partie de leurs récoltes à la solidarité. Coordinateur de Mãos Solidárias, Paulo Mansan, doctorant en agroécologie à l’UFRPE (Université fédérale rurale de Pernambuco) et membre paysan du MST (Mouvement des travailleurs ruraux sans terre), indique que 32 banques alimentaires populaires ont été créées, à qui une partie de la production de Roçado Solidário est destinée. Une autre partie est donnée aux cuisines populaires des communautés où les repas à emporter sont distribués. 
                                                
« Chaque assentamento (territoire de la Réforme agraire) dispose d’une zone destinée à cette production et distribution. Tout le travail est solidaire. Les volontaires sont divisés en trois catégories : les paysans issus de notre Mouvement, les personnes qui se consacrent au travail volontaire et les personnes issues des communautés assistées elles-mêmes », a-t-il déclaré. 
                                        

 


Les chiffres :
 
55% de la population brésilienne était en situation d’insécurité alimentaire en 2021 

Citation

« Les cuisines solidaires sont un exemple très clair que l’organisation populaire peut transformer la réalité. Il est urgent de les transformer en politiques sociales pour étendre ce projet et servir encore plus de personnes. » 
                                        
Guilherme Boulos, porte-parole du Mouvement des Travailleurs Sans Toit 

 

Notes :

76. Inquérito Nacional sobre Insegurança Alimentar no Contexto da Pandemia da Covid-19 no Brasil – II VIGISAN, 2022. 
                                                                             
77. Habitants des « quilombos », communautés marronnes fondées par des esclaves noirs ayant repris leur liberté, qui se forment au Brésil, dès le XVIe siècle. Ces communautés sont présentes dans différentes parties du pays, à travers leurs descendants, qui luttent jusqu’à aujourd’hui pour la reconnaissance de leurs territoires traditionnels et de leurs propres modes de vie. 
                                        
78. Atlas des situations alimentaires au Brésil, 2021.                                                  
                                                        
79. Inquérito Nacional sobre Insegurança Alimentar no Contexto da Pandemia da Covid-19 no Brasil – II VIGISAN, 2022.                                                  
 
80. Ibid. 
                                        
81. Institut Brésilien de Géographie et Statistiques.                    
                                                        
82. Boletim Especial – 1o de maio – Dia doTrabalhador – DIEESE (Département Inter-syndical de statistiques et études socioéconomiques).                                      
                                                        
83. NERI, Marcelo. Desigualdade de Impactos Trabalhistas na Pandemia. FGV Social, 2021.                                              
                                                        
84. Pesquisa de Endividamento e Inadimplência do Consumidor (PEIC), abril de 2022.                                                  
 
85. DIEESE. Síntese especial: Emergência cresce, mas Auxílio encolhe, mars 2021. 
                                                
86. AGROSTAT – Estatísticas de Comércio Exterior do Agronegócio Brasileiro. 
                                                
87. IBGE. Recensement agricole 2017 (Censo Agropecuário 2017)