Durant ses trente années de carrière politique, Jair Bolsonaro n’a pas cessé d’attaquer frontalement les populations autochtones et la légitimité de leurs terres, pourtant garantie par la Constitution de 1988. Ses innombrables saillies d’un racisme infantilisant, mêlées au discours développementaliste et à une gouvernance ouvertement anti- indigène, ont mis directement en danger la (sur)vie de près de 800 000 autochtones. Perçues comme des « ennemis de l’intérieur » freinant le développement économique du pays, les populations autochtones sont depuis 2019 victimes d’une « politique génocidaire, ethnocidaire, anti-écologique et anti-indigène 48 » qui s’est particulièrement accentuée pendant la pandémie de Covid-19. 

Selon les données du Conseil Indigéniste Missionnaire (CIMI), il existe au Brésil 305 peuples autochtones, parlant près de 274 langues et vivant dans 1 299 territoires indigènes (TI) — dont 832 sont toujours en cours de démarcation49. Or, depuis son investiture en 2019, Jair Bolsonaro n’en a démarqué aucun : il est ainsi le premier chef d’État à ne pas accomplir cette obligation (pourtant prévue par la Constitution) depuis la re-démocratisation50. À partir du début de son mandat, le CIMI a recensé 519 invasions illégales (256 en 2019 et 263 en 2020) et constate une augmentation de 141 % depuis 2018 51. S’ajoute bien sûr l’explosion des incendies volontairement perpétrés par les éleveurs et bûcherons de l’agrobusiness : 345 territoires indigènes ont été ainsi en proie aux flammes en 2019 et 341 l’année suivante. Le nombre de feux recensés enTI a donc grimpé de 87 % entre 2018 et 2019 52. 
 
Complices de la politique anti-indigène et anti- écologique de l’exécutif, le législatif est ensuite à l’origine de plusieurs projets de loi (PL) mettant en danger les populations autochtones et l’intégrité de leurs terres : PL 490/2007 proposant le transfert de la compétence de démarcation desTI au Parlement 53 ; PL 2633/2020 affaiblissant le contrôle des occupations illégales des TI54 ; PL 191/2020 autorisant l’exploitation desTI pour de grands projets d’infrastructures hydroélectriques et d’exploitation minière… Le Tribunal Suprême Fédéral est de nos jours en train de débattre sur la possibilité d’application du « marco temporal » (seuil temporel) sur les futures démarcations de territoires indigènes. Selon cette thèse juridique, seuls les peuples autochtones qui occupaient déjà les terres revendiquées au moment de la promulgation de la Constitution fédérale en 1988 pourraient faire valoir des droits sur celles-ci. Or, selon l’Articulation des Peuples Autochtones du Brésil (APIB), l’éventuelle victoire de cet argument impliquera « l’annulation des processus de démarcation et l’augmentation des conflits et actes violents (…) et des actes illicites comme l’orpaillage, l’exploitation minière, la déforestation et l’appropriation illégale de terres 55 ». 
                                        
Depuis 2019, les organisations indigènes n’ont par ailleurs eu de cesse de dénoncer le démantèlement méthodique de la Fondation National de l’Indien (FUNAI) et du Secrétariat d’État à la Santé Indigène (SESAI). Le désengagement volontaire de l’État en matière de politiques publiques destinées aux populations autochtones a en effet eu des conséquences terribles pour elles, notamment pendant la pandémie de Covid-19. L’APIB affirme ainsi que plus de la moitié des peuples originaires ont été touchés par le virus et que plus d’un millier d’autochtones sont morts depuis le début de la crise sanitaire56. 
Dans son rapport sur la Covid-19 et les peuples autochtones, l’Articulation déplore le manque cruel d’équipements et d’assistance sanitaire au sein des villages, les dysfonctionnements systématiques dans la prise en charge des malades et les missions évangélisatrices auprès despeuplesisolés57. Si la FUNAI n’a dépenséque 1,18 % de son budget destiné au combat contre la pandémie, le gouvernement a aussi fait des autochtones les cobayes de l’inefficace traitement à l’hydroxychloroquine58. À l’épidémie de diabète au sein des villages se conjugue aussi une très forte hausse de la contamination au mercure, en raison de l’exploitation minière illégale qui pollue les eaux des fleuves et leur faune59. 
                                        
Enfin, selon le CIMI, 430 Autochtones ont été assassinés entre 2018 et 2021, dont beaucoup par des agents de l’agrobusiness ou des orpailleurs violant leurs terres60. La crise que traverse le peuple Yanomami est symptomatique de la nécropolitique dont sont victimes les populations indigènes du Brésil : déjà frappée par la dénutrition et la malaria, ses communautés ont subi des attaques d’orpailleurs illégaux. Début mai 2022, lors d’une de ces attaques un village entier a été brûlé, une fillette a été violée puis tuée et 25 Yanomamis sont porté·e·s disparu·e·s pendant quelques jours à cause de la violence de l’attaque61. 
                                        
Toutefois, les autochtones continuent encore et toujours de lutter. Lors des élections municipales de 2020, 2 212 d’entre elles/eux s’étaient porté·e·s candidat·e·s (soit une augmentation de 27 % par rapport à 2016, un record)62. Face à la politique mortifère de l’actuel président et aux preuves accablantes d’« extermination préméditée63 », l’APIB a également demandé au Tribunal Pénal International d’ouvrir une enquête pour « génocide64 » à l’encontre de Jair Bolsonaro. 

 

Exemple de résistance : LA RÉSISTANCE DE L’ARTICULATION DES PEUPLES INDIGÈNES DU BRÉSIL (APIB)

Articulation composée de sept organisations régionales de défense des peuples autochtones, l’APIB est devenue une référence en termes de lutte contre la politique génocidaire et anti-environnementale du président Jair Bolsonaro. Fondée en 2005 lors de l’Acampamento Terra Livre (Campement Terre Libre) elle possède trois objectifs principaux : renforcer l’union des différents peuples autochtones du Brésil et de leurs représentations régionales, unifier leur lutte autour de revendications communes et encourager la mobilisation contre les menaces et les agressions auxquelles ils font face. L’APIB revendique également de nombreuses demandes touchant une variété de domaines. Parmi elles, la démarcation des terres indigènes et leur protection, la création d’un nouveau statut pour le/la citoyen·ne autochtone, la mise en place de politiques publiques en matière d’éducation et de santé ou encore une plus grande représentation au sein des instances décisionnelles du pays. 

À l’échelle nationale, l’APIB est à l’origine de plusieurs mobilisations médiatisées qui ont permis de faire mieux entendre ses revendications spécifiques. On y distingue par exemple la Marche des Femmes indigènes qui a lieu chaque année à Brasilia au mois de septembre ou encore l’Acampamento Terra Livre (ATL), le grand rendez-vous annuel des peuples autochtones du Brésil. 
                                                
Cette année, l’APIB a célébré la dix- huitième édition de cette manifestation, devenue incontournable dans le paysage militant brésilien. Du 4 au 15 avril 2022, l’ATL a rassemblé sur la pelouse de l’Axe Monumental de Brasilia plus de 7 000 autochtones issus de 200 peuples différents. Dans la programmation se trouvaient de nombreuses assemblées plénières (autour de la santé, de l’éducation, des femmes, des droits…), ainsi qu’une grande marche vers le Congrès dénonçant les projets de loi anti-indigènes, l’invasion de leurs terres et la thèse du seuil temporel, en jugement au SuprêmeTribunal Fédéral. 
                                                
La victoire de Jair Bolsonaro a poussé l’APIB à se mobiliser davantage dans le champ international. De la volonté de conscientiser le public étranger est née la campagne « Sang Autochtone : plus une seule goutte ». Entre le 17 octobre et le 20 novembre 2019, des membres de l’APIB a parcouru 12 pays à la rencontre de la société civile, des parlementaires et même du pape François. C’est lors de cette tournée européenne que l’articulation a affiché son opposition au traité UE-Mercosur, qui, dans les termes actuels, « encouragera la destruction environnemental et le génocide des peuples indigènes et gardiens des forêts du Brésil 65 ». 
                                                
Plus récemment, l’APIB s’est distinguée lors de sa participation à la COP26 de Glasgow (Écosse) pendant laquelle l’Articulation a défendu que la lutte contre le dérèglement climatique passe nécessairement par la défense des peuples autochtones et de leurs terres ancestrales : « La Terre Indigène est la garantie d’un futur pour toute l’humanité. Notre relation avec le territoire n’est pas basée sur la propriété, l’exploitation, l’expropriation ou l’appropriation, mais bien sur le respect et la gestion d’un bien commun, servant à toute l’humanité », pouvait-on lire dans son fascicule distribué lors de l’événement 66. L’APIB est également devenue au fil des années l’un des interlocuteurs privilégiés de l’Organisation des Nations unies, avec qui elle collabore régulièrement. 
                                                
Certain·e·s de ses membres historiques, comme l’ancienne candidate à la vice- présidence Sônia Guajajara ou le juriste Eloy Terena, ont déjà annoncé leurs précandidatures à la députation dans le cadre des élections législatives de 2022. 
Les chiffres :
 
– Une augmentation de 141 % des cas d’invasions de territoires autochtones depuis 2018.

 

– 430 Autochtones ont été assassinés entre 2018 et 2021
 
 

Citation

« Nous croyons qu’ont lieu au Brésil des actes qui se configurent comme des crimes contre l’humanité, comme un génocide et comme un écocide. Étant donné l’incapacité du système judiciaire brésilien à enquêter, à intenter un procès et à juger de ces conduites, nous dénonçons ces actes à la communauté internationale, en mobilisant le Tribunal Pénal International. » 
                                        
Eloy Terena, coordinateur juridique de l’APIB dans le communiqué destiné au TPI 

 

Notes :

48 .Articulation des Peuples Indigènes du Brésil, « Note de répudiation de l’APIB » [en ligne], 27/08/2019. L’APIB est une articulation de différentes organisations autochtones du Brésil. Elle a pour objectif, non seulement de promouvoir les mobilisations du mouvement autochtone au niveau national et international, mais aussi de mener des activités de lobbying auprès des pouvoirs publics en matière de politiques publiques dans différents domaines tels que la santé, l’éducation, les droits humains ou l’environnement. 
                                                                                                                     
49. Conseil Indigéniste Missionnaire (CIMI), « Rapport sur les violences contre les peuples indigènes du Brésil – données de 2020 » [PDF en ligne], 2021.                                                  
                                                        
50. Dans un rapport datant de 2021, l’APIB rappelle que la Constitution de 1988 donnait jusqu’à 1993 pour que l’État fédéral démarque toutes les terres indigènes. À titre de comparaison, Fernando Collor (1991 – 1992) avait démarqué 112 terres, Fernando Henrique Cardoso (1995 – 2002) 145, Luiz Inácio Lula da Silva (2003 – 2010) 79, Dilma Rousseff (2011 – 2016) 21 et MichelTemer (2016 – 2018) une seule. Voir : Ibid, p.66.                                                  
                                        
51. Ibid. 
                                        
52. Ibid. 
                                        
53. Ce projet de loi présente un « risque imminent » selon l’APIB, car il a déjà été approuvé par la Commission de Constitution et Justice en juin 2021 et attend d’être voté prochainement par le Congrès. Voir : Articulation des Peuples Indigènes du Brésil (APIB), « Dossier international de dénonciations des peuples indigènes du Brésil » [PDF en ligne], août 2021, p. 24. 
                                        
54. Aussi appelé « PL da grilagem » (ou « PL de l’appropriation indue de terres »), ce projet de loi ouvre selon l’APIB « le chemin vers l’amnistie des usurpateurs et des criminels environnementaux », favorise « l’impunité des crimes environnementaux » et « encourage les dynamiques de déforestation et d’incendies ». Il a déjà été « sournoisement » approuvé par le Parlement dans la nuit du 3 août 2021 et attend d’être soumis au Sénat. Voir : Ibid, p.25. 
                                        
55. Ibid, p.23. 
                                        
56. Articulation des Peuples Indigènes du Brésil (APIB), « Notre lutte est pour la vie : Covid-19 et peuples autochtones » [PDF
en ligne], novembre 2020                                                                                
 
57. APIB, Doc. cit. Le rapport rappelle que le pasteur évangélique fondamentaliste Ricardo Lopes Dias a été nommé par Jair Bolsonaro au poste de coordinateur-général des Indiens Isolés et de Contact Récent de la FUNAI, justement afin de promouvoir la conversion de ces peuples au christianisme. 
 
58. APIB, Doc. cit. 
 
59. « Impact du mercure dans la santé du peuple indigène Munduruku, dans le bassin du Tapajós » [PDF en ligne], WWF Brasil et Fiocruz, novembre 2020.                                                  
                                        
60. CIMI, doc. cit.                                                                                
                        
61. « “Où sont les Yanomami” : ce que l’on sait et ce qui doit être éclairci à propos de la communauté brûlée après les dénonciations de la mort d’une jeune fille » [en ligne], G1 Roraima, 03/05/2022. 
                                        
62. Articulation des Peuples Indigènes du Brésil, « Élections de 2020 : le nombre d’indigènes élus est le plus grand de l’histoire du pays » [en ligne], 17/11/2020. 
                                        
63. CIMI, doc. cit., p.16. 
                                        
64.Articulation des Peuples Indigènes du Brésil, « L’APIB dénonce Bolsonaro à La Haye pour génocide » [en ligne], 09/08/2021. 
 
65. Articulation des Peuples Indigènes du Brésil, « Note sur la tournée Sang Indigène : plus une seule goutte » [en ligne], 30/12/2019. 
                                                
66. Articulation des Peuples Indigènes du Brésil (APIB), « Démarcation maintenant ! – COP26 » [PDF en ligne], octobre 2021.