Au cours des quatre dernières années, Jair Bolsonaro s’est systématiquement engagé dans le démantèlement des institutions démocratiques, avec la réduction des droits sociaux et du travail et l’adoption de politiques qui ont entraîné l’expansion du chômage, de la pauvreté ainsi que l’approfondissement des inégalités sociales caractéristiques de la société brésilienne. 
                                                
Favorable à la réforme du travail approuvée en 2017 par Michel Temer, alors président suite au coup d’État contre Dilma Rousseff, Bolsonaro a défendu la flexibilisation du travail au Brésil en estimant que cela se traduirait par une chute du chômage. Cette promesse n’a pas été tenue. Fin 2019, juste avant la pandémie, les chiffres montraient une augmentation très peu significative de l’emploi dans le pays, marquée par un fort taux d’informalité. 
                                                
L’arrivée de la pandémie en 2020 a aggravé la situation : des millions de personnes ont perdu leur emploi en quelques mois. Le chômage a atteint son plus haut niveau au début de l’année 2021 avec un taux de 15 %, ce qui équivaut à environ 9 millions d’hommes et de femmes exclu·e·s du marché du travail, licencié·e·s ou ayant abandonné la recherche d’un emploi88. 
                                        
Parallèlement, le pays a connu une augmentation considérable du nombre de personnes travaillant sans contrat de travail formel, exclus de l’accès aux droits du travail. Plus de 38 millions de personnes se trouvaient dans cette situation début 2021, soit 41 % de la population active totale, entraînant une forte diminution du revenu moyen réel au Brésil qui, début 2022, était de 2 511 reais (environ 430 euros)89. 
                                        
En raison de la forte inégalité structurelle de la société brésilienne, la déstructuration du marché de travail n’a pas cependant touché l’ensemble de la population brésilienne de la même manière. Deux groupes ont subi le plus fortement les conséquences de cette déstructuration : les femmes et la population noire. Comme pour l’ensemble de la société brésilienne, le monde du travail au Brésil compte à une extrémité des hommes blancs, avec les meilleures conditions de salaire et de qualification, et à l’autre extrême, les femmes noires subissant les pires conditions de travail et les plus bas niveaux de salaire. 
                                        
Selon les données de l’enquête nationale par sondage auprès des ménages, au troisième trimestre 2021 la population active féminine comptait 1,1 million de femmes de moins qu’au même trimestre 2019, passant de 47,5 millions à 46,3 millions 90. La réduction de la participation dans la population active a été plus forte pour les femmes noires : 925 000 femmes de moins au cours de la période. 
                                        
Le contingent de femmes hors de la population active entre 2019 et 2021, c’est-à-dire qui n’ont pas cherché un emploi et n’ont pas travaillé, a également augmenté, passant à 2,8 millions91. En outre, le nombre de chômeuses, ou de celles qui ont cherché un emploi en 2021, a connu une forte augmentation par rapport à 2019 : 564 000 femmes de plus ont cherché un emploi, dont plus de la moitié étaient noires. 
                                        
Ces inégalités sont aussi observées dans l’écart des revenus entre hommes et femmes : le revenu moyen des femmes était de 2 078 reais au troisième trimestre de 2021 (moins de 330 euros), et celui des hommes de 2 599 reais (environ 410 euros). Comparativement, les femmes ont gagné 80 % de ce que les hommes ont reçu92. 
                                        
Outre les inégalités liées au sexe, les personnes noires et non noires sont insérées différemment dans le marché du travail et les indicateurs reflètent cette différence. Si l’on compare 2021 au premier trimestre 2020, avant la pandémie, on constate qu’une part importante de la population noire n’a pas repris le travail, soit 1,1 million de femmes noires et 1,5 million d’hommes noirs93. Au 2e trimestre 2021, alors que 92 % de la main-d’œuvre non noire avait repris le travail (en comparaison aux chiffres du premier trimestre 2020), seuls 59 % de la population noire avec retrouvé un emploi. 
                                                
Les moyennes de revenus prouvent également l’inégalité des rémunérations selon la couleur de la peau. Alors que les hommes et les femmes non noires ont reçu en moyenne 3 471 reais (presque 550 euros) et 2 674 reais (environ 420 euros), respectivement, au deuxième trimestre 2021, les travailleurs noirs ont gagné 1 968 reais (moins de 310 euros) et les travailleuses noires, 1 617 reais (un peu plus de 250 euros). Ces valeurs moyennes montrent que les travailleurs noirs reçoivent un peu moins de 60 % du revenu des hommes non noirs et les femmes noires seulement 55 %. Dans le même temps, les travailleuses non noires ont un salaire moyen correspondant à 87 % de celui du travailleur non noir. 
                                                
En 2022, le monde du travail brésilien reste également marqué par la précarité : le travail salarié sans contrat formel dans le secteur privé (16 %), le travail domestique sans contrat formel (15 %), le travail indépendant (15 %) et le travail familial (9 %) sont ceux qui ont le plus augmenté 94. 
                                                
Face à cette situation, plusieurs mouvements se sont organisés au pays ces dernières années, nés de la nécessité de lutter pour les droits fondamentaux, pour le droit au travail, contre la discrimination que subissent quotidiennement les travailleurs et travailleuses dans l’informalité et contre leur invisibilité. 

Exemple de résistance : LE MOUVEMENT NATIONAL DES TRAVAILLEURS SANS DROITS

En avril 2022, une série de manifes- tations ont été organisées dans plu- sieurs États du pays par des livreurs

et des chauffeurs travaillant pour des plate- formes numériques. Les manifestations étaient principalement dirigées contre le réseau « iFood » pour que l’entreprise res- pecte pleinement un plan d’action conve- nu avec les travailleurs lors du 1er Forum des travailleurs de la livraison du Brésil, qui s’est tenu en décembre 2021. Depuis, l’entreprise a partiellement répondu aux demandes présentées par les travailleurs. Un mois plus tard, en mai 2022, le Mouve- ment national des travailleurs sans droits est fondé. Des travailleurs et travailleuses

de quatre États participent déjà à cette nouvelle lutte : Rio de Janeiro, São Paulo, Minas Gerais et Pernambuco. L’objectif du mouvement est de renforcer le débat sur l’explosion du travail précaire et informel au Brésil.

Une centaine de personnes se sont rassemblées pour assister au lancement du mouvement. Parmi elles figuraient des représentants des vendeurs de rue, des travailleurs journaliers, des chauffeurs et livreurs, des ramasseurs de déchets, entre autres catégories de travailleurs et travailleuses informelles.

 

 
Les chiffres :

 

– 15 %, c’était le taux de chômage en 2021, ce qui équivaut à environ 9 millions d’hommes et de femmes. 

– Les travailleurs noirs reçoivent un peu moins de 60 % du revenu des hommes non noirs et les femmes noires seulement 55 %
 
 

Citation

« Vous n’imaginez pas ce que c’est de transporter de la nourriture sur son dos quand on est soi-même affamé. » 
                                        
Livreur d’UberEats au Brésil 

 

Notes :

88. IPEA. « Performances récentes du marché du travail et perspectives », Lettre de conjoncture de l’Institut de Recherche Économique Appliquée. 
                                        
89. IBGE. « Enquête nationale par sondage auprès des ménages (PnadC) », 2021. 
                                
90. DIEESE. « Les femmes dans le Brésil sur le marché du travail brésilien : inégalités anciennes et plus de précarité » mars 2022. 
                                        
91. Ibid. 92. Ibid. 
                                
93. DIEESE. « Inégalité entre les Noirs et non noirs s’approfondit pendant la pandémie », novembre 2021. 
                                        
94. Ibid.