En trente ans de carrière politique, Jair Bolsonaro a soutenu sans faille les grands propriétaires terriens ainsi que les entreprises d’exploitation minière et forestière peu scrupuleuses. Défendant depuis toujours les intérêts économiques de court terme et une vision libérale qui fait fi de l’urgence climatique et des droits humains, sa gestion en matière d’environnement est marquée par le démantèlement progressif des mesures de protection de la nature, la persécution de militant·e·s et l’institutionnalisation d’un écocide généralisé.Teintée de racisme environnemental et de climato-scepticisme, la politique extractiviste du gouvernement Bolsonaro a eu des impacts désastreux, si ce n’est irréversibles, à la fois pour la biodiversité et pour les populations brésiliennes. Face au sabotage environnemental, l’Articulation des Peuples Indigènes du Brésil a décidé de poursuivre le président actuel au Tribunal Pénal International pour « écocide »95. 
                                                
Les nominations de Tereza Cristina Corrêa da Costa Dias au ministère de l’Agriculture, de l’Élevage et de l’Approvisionnement ainsi que du climato-sceptique Ricardo Salles au ministère de l’Environnement ont été les signes d’une catastrophe annoncée. Ancien pilier du lobby de l’agrobusiness au Parlement, la ministre avait autorisé 474 nouveaux pesticides en 2019, 493 en 2020 et 562 en 2021— soit un total de 1 53096en trois ans97. Entre 2010 et 2019, quinze personnes en moyenne étaient empoisonnées chaque jour par des produits toxiques utilisés dans l’agriculture intensive98. En février 2022, malgré une mobilisation citoyenne, le projet de loi 6299-2002 flexibilisant l’usage des pesticides (dont certaines cancérigènes) a été approuvé au Parlement99. 
                                        
Limogé en juin 2021, suite à des investigations sur sa participation supposée dans le trafic de bois, Ricardo Salles a été le véritable architecte de l’écocide institutionnalisé, étant à l’origine de 721 mesures anti-environnementales100. Parmi elles, la suppression de 18 sièges des représentant·e·s de la société civile au sein du Conseil National de l’Environnement101 ; la militarisation du Conseil de l’Amazonie ; les licenciements abusifs et le harcèlement de fonctionnaires publics102 ; l’asphyxie budgétaire imposée aux agences environnementales comme l’IBAMA ou l’ICMBio103… Le 22 avril 2020, il scandalise l’opinion en voulant profiter de la focalisation médiatique sur la pandémie pour « modifier entièrement la réglementation » environnementale et « simplifier les normes » restrictives104. Depuis 2019, de nombreux projets de loi défendus au Parlement par le très puissant lobby ruraliste menacent directement la biodiversité et les populations autochtones105. Le successeur du ministre Salles, Joaquim Alvaro Pereira Leite se montre plus discret, mais toute sa carrière a été construite au sein de l’agrobusiness. 
La dislocation méthodique de l’arsenal juridique et l’affaiblissement des agences environnementales ont des conséquences immédiates non seulement sur la fiscalisation des délits et crimes environnementaux (-30 % entre janvier et août 2019)106, mais aussi sur la préservation de la biodiversité. L’appropriation illégale de terres publiques107 a en effet considérablement augmenté depuis l’arrivée au pouvoir de Jair Bolsonaro : selon l’Institut National de Recherches Spatiales (INPE), entre janvier et septembre 2019 par rapport à la même période en 2018, le nombre d’incendies a presque doublé sur l’ensemble des biomes du pays108. On constate ainsi une augmentation des feux de l’ordre de 41 % en Amazonie, 45 % dans le Cerrado, 63 % dans la Pampa et 324 % dans le Pantanal109 où, entre janvier et septembre 2020, les flammes ont causé la disparition de 2 millions d’hectares110 et de 17 millions d’animaux111. Plusieurs rapports ont pointé la responsabilité humaine dans ces catastrophes environnementales112. À la tribune de l’Organisation des Nations unies en septembre 2019, Jair Bolsonaro a accusé les ONG de provoquer ces feux113. 
                                        
À la destruction de la biodiversité par le feu s’ajoute la déforestation. Elle aussi a connu une hausse significative sous le mandat de Jair Bolsonaro : entre 2019 et 2021, l’équivalent d’un peu plus de la surface de la Belgique a été rasée en Amazonie (soit 34 215 km2). Le Projet de suivi de la déforestationen Amazonie par satellite a ainsi enregistré une augmentation de 22 % en un an (entre 2020 et 2021), de 30 % en trois ans et de 106 % en dix ans. Un tel taux n’avait jamais été atteint depuis 2006 et n’a cessé de croître depuis142019115. Ce phénomène n’est pas exclusif au biome amazonien : dans le Cerrado, la superficie déforestée est passée de 6 300 km2 en 2018 à 8 500 km2 en 2021 — soit une augmentation de 26 % en trois ans116. À la déforestation s’ajoutent d’autres menaces comme la recrudescence des groupes armés et des orpailleurs illégaux sur des Terres Indigènes et des réserves naturelles, provoquant parfois de violents conflits. Selon le dernier rapport de Global Witness, 20 défenseur·euse·s de l’environnement ont été assassiné·e·s au Brésil en 20201(17). 
                                                
Malgré ce sombre tableau, la société civile continue de lutter. Des articulations d’associations comme Agro é Fogo ou des grandes ONG comme Greenpeace continuent de mener des actions sur le terrain et de sensibiliser le public sur les dangers des projets écocidaires des pouvoirs exécutif et législatif, ainsi que sur la responsabilité des entreprises européennes dans la destruction de l’Amazonie. 

Exemple de résistance : L’« ACTE POUR LA TERRE » : QUAND LA CULTURE SE JOINT À LA DÉFENSE DE L’ENVIRONNEMENT ET DES PEUPLES AUTOCHTONES

 

Conçu par le chanteur Caetano Veloso avec le concours de diverses organisations de défense de l’environnement et des droits humains (Observatoire du Climat, Articulation des Peuples Indigènes du Brésil, Coalition Noire pour les Droits, Mouvement des Sans-Terre…), l’« Acte pour la Terre » a été la plus grande mobilisation populaire contre l’écocide institutionnalisé du gouvernement Bolsonaro depuis 2019. Le 9 mars 2022, la pelouse faisant face au Congrès à Brasilia a donc été investie par des artistes de renom et par plusieurs milliers de citoyen·ne·s pour dénoncer les « reculs inacceptables en termes de protection et de droits environnementaux118 » : « Les projets de loi en cours peuvent aggraver la situation, car ils pourront faciliter la déforestation, permettre l’exploitation minière et l’orpaillage en terres indigènes et vulnérabiliser la forêt contre l’appropriation illégale des terres publiques et les criminels », a affirmé Caetano Veloso devant le président du Sénat et une poignée de ministres duTribunal Suprême Fédéral, présent·e·s pour l’occasion. 
                                                
Dans son discours, l’icône de la résistance culturelle sous la dictature militaire (1964- 1985) faisait référence au dit « pacote da destruição » (lot de la destruction), alors en discussion le jour-même au Parlement. Celui-ci contenait plusieurs projets de loi (PL) représentant une menace directe pour la biodiversité et la vie des peuples autochtones. Parmi eux les PL 2633/2020 et 510/2021 qui légalisent l’accaparement de terres publiques ; le PL 2159/2021 qui flexibilise l’obtention des licences et qui libère les entreprises de l’obligation de respecter certaines normes environnementales ; le PL 191/2020 qui autorise l’exploitation minière et la construction de barrages hydroélectriques sur des terres indigènes ; le PL 6299/2002 qui permet la mise sur le marché de nouveaux pesticides ; ou encore le PL 984/2019 qui autorise la construction d’une autoroute dans le Parc National d’Iguaçu, dernière réserve de forêt atlantique à l’intérieur du Brésil119. Le combat contre la thèse juridique du « seuil temporel », actuellement débattue à la Cour Suprême, a aussi animé les esprits120. 
                                                
En dépit de la mobilisation, le caractère d’urgence pour l’appréciation du PL 191/2020 a finalement été approuvé par le Parlement le 9 mars au soir.Toutefois cet événement, remarquable par son ampleur et sa défense de la convergence des luttes, a été un signal fort contre la politique anti- environnementale et anti-autochtone de Jair Bolsonaro. 

 

Les chiffres :

 

17 % de la foret amazonienne est déjà détruite. Si ce chiffre dépasse les 25 %, un point de non-retour serait atteint et le biome se transformerait en savane

Citation

« Il n’a jamais existé de ministère de l’Environnement dont la mission est de se détruire lui-même, et c’est ce qui est en train de se passer sous le gouvernement Bolsonaro. Cela est tout à fait inédit. » 
                                                
Suely Araujo, ancienne présidente de l’IBAMA114 

 

Notes :

95. Articulation des Peuples Indigènes du Brésil, « L’APIB dénonce Bolsonaro à La Haye pour génocide » [en ligne], 09/08/2021. 
                                                                             
96. Inter-American Development Bank. « An Amazon Tipping Point: The Economic and Environmental Fallout », juillet 2021. 
                                        
97. Données du ministère de l’Agriculture consultées en avril 2022. 
                                              
98. BOMBARDI, Larissa. « Géographie de l’usage des pesticides au Brésil et connexions avec l’Union européenne », 2021.                                                  
                                                        
99. Greenpeace Brasil. “Deputados do câncer aprovam Pacote do Veneno”.                                                  
                                        
100. GUSSEN, Ana Flavia. « Avec Salles, le gouvernement signe en un an 721 mesures qui impactent l’environnement » [en ligne]. Carta Capital, 02 05 2021. 
                                        
101.TERENA, Luiz Eloy. « Bolsonaro génocidaire : droits indigènes et environnement. » São Paulo, Elefante Editora, 2021, p.23. 
                                                                             
102.En février 2019, Ricardo Salles a renvoyé 21 des 27 surintendants de l’IBAMA. Voir : Ibid, p.33. 
                                        
103.Sigles pour l’Institut Brésilien de l’Environnement et des Ressources Naturelles Renouvelables (IBAMA) et pour l’Institut Chico Mendes pour la Conservation de la Biodiversité (ICMBio). 
                                        
104. SHALDERS, André. « Faire passer le troupeau : 5 moments où Ricardo Salles a assoupli les règles environnementales » [en ligne]. BBC Brasil, 01/10/2020. 
                                        
105. Voir encadré ci-dessous. 
                                        
106.TERENA, Luiz Eloy. Op. cit., p.35. 
                                        
107. Connue en portugais sous le nom de grilagem, la pratique qui consiste « en l’invasion, l’occupation et le commerce illégal de terres publiques […] est directement liée à la déforestation, à la destruction de la biodiversité et menace les peuples originaires qui occupent traditionnellement ces terres ». Voir : Articulation des Peuples Indigènes du Brésil (APIB), « Dossier international de dénonciations des peuples autochtones du Brésil » [PDF en ligne], août 2021, p.26. 
                                        
108. « Analise da situacao atual do bioma pantanal », [pdf en ligne].                                                  
                                                        
109. Situé à la frontière avec la Bolivie, le Pantanal est l’une des plus grandes zones humides de la planète abritant une des plus grandes biodiversités d’Amérique latine.                                                  
                                        
110. FIOCRUZ. Note technique « Incêndios florestais no Pantanal 2020 », [pdf en ligne]. 
                                                                             
111. « Distance sampling surveys reveal 17 million vertebrates directly killed by the 2020’s wildfires in the Pantanal, Brazil », Nature, 2021. 
                                        
112. À l’exemple dudit « jour du feu » : le 10 août 2019 dans l’État du Pará, avec la complicité des autorités locales et du gouvernement bolsonariste, des éleveurs et des entrepreneurs proches de l’agrobusiness ont décidé, en toute illégalité, de brûler un maximum de terres afin d’agrandir les parcelles d’élevages. Un an plus tard, les terres en question se sont retrouvées occupées par les bovins et l’enquête ouverte par le Ministère public fédéral n’a pas abouti à ce jour. 
 
113.TERENA, Luiz Eloy. Op. cit., p.44 
 
114. Entretien avec Suely Araujo, « Com Bolsonaro, política ambiental chegou ao “fundo do poço”, diz ex-presidente do Ibama », Redebrasilatual.com.br, 7 février 2022.                                                          
                                                                
115. Projet de suivi de la déforestation en Amazonie légale (PRODES), de l’Institut national de Recherches Spatiales (INPE), dernières données actualisées le 19 novembre 2021.                                                          
                                                                
116. Projet de suivi de la déforestation dans le Cerrado, de l’Institut national de Recherches Spatiales (INPE), dernières données actualisées le 3 janvier 2022.                                                          
                                                
117.« Last line of defence », Rapport Global Witness, septembre 2021.