Tous les deux ans, depuis 1988, chaque année électorale est le théâtre d’assassinats et d’agressions de tous types contre des candidat.es, leurs équipes et leurs partisan.es. En 2016, le constat d’une « banalisation » de la violence politique est fait dans l’espace public, y compris virtuel. Il se cristallise dans l’exécution de la conseillère municipale de Rio de Janeiro, Marielle Franco, et de son chauffeur, Anderson Gomes, le 14 mars 2018. Quatre ans plus tard, le commanditaire n’a toujours pas été formellement identifié et l’enquête souffre de nombreuses entraves politiques.                                                                     
                        
Ces dernières années, la violence politique a touché l’ensemble de la société civile et s’est déversée contre les institutions. Les oppositions sont stigmatisées par les forces au pouvoir, dont certaines assument mener une guerre culturelle contre un prétendu « endoctrinement marxiste » de l’État brésilien. La violence s’exprime aussi dans la politique et prend diverses formes, dont la judiciarisation. Dans ce registre, le cas le plus emblématique est celui de l’ancien président Lula (2003-2011), qui a finalement été reconnu innocent de tous les chefs d’accusation pour lesquels il avait été détenu en 2018 alors qu’il comptait se représenter aux élections. 
                                        
La violence politique électorale au Brésil se caractérise par une absence de données institutionnelles et répond à des discriminations structurelles telles que le racisme, le patriarcat et le colonialisme. Sa banalisation s’observe par son intensification et son omniprésence entre 2016 et 2020. Il en résulte des persécutions et menaces de morts poussant des personnalités politiques à l’exil, comme celui choisi par Jean Wyllys, ancien député gay, et Marcia Tiburi, candidate au gouvernement de l’État de Rio de Janeiro en 2018, ou des chercheuses Larissa Mies Bombardi, sur la question des pesticides, et Débora Diniz sur l’avortement153. 
                                        
Se basant sur le panorama dressé par les ONG Terra de Direitos et Justiça Global, ce baromètre alertait, dès 2021, sur au moins 327 cas de violence à l’encontre d’hommes et femmes politiques sur la période 2016-2020. De même, jusqu’au 1er septembre 2020, le pays a observé une augmentation de 37 % des cas par rapport à la même période en 2016(154). 
                                        
La violence électorale, ciblée, déstabilise le processus de représentation politique des groupes historiquement sous-représentés. C’est autant une violence de genre que raciste. En 2020, les femmes sont sous- représentées dans la vie politique brésilienne, occupant 13 % des sièges dans les chambres législatives municipales, des États et fédérales. Elles sont pourtant la cible de 18 % des cas d’agressions physiques, 31 % des cas de menaces et 76 % des cas d’offenses. Ces agressions ont souvent lieu dans leurs espaces de travail et se cumulent avec des campagnes diffamatoires sur les réseaux sociaux, comme l’a démontré l’agression sexuelle dont fut victime Isa Penna, députée de l’État de São Paulo, lors d’une session parlementaire en décembre 2020, suivie de nombreux mois d’agressions en ligne. 
                                        
Ces attaques s’inscrivent dans la continuité des révélations, depuis 2019, de la constitution d’un « cabinet de la haine » par le clan Bolsonaro. En charge de la stratégie digitale bolsonariste, il constitue des dossiers contre les ennemi.es du président et mène des campagnes massives de harcèlement en ligne. 
                                        
La violence politique contre les communautés autochtones. Le nombre d’élu·e·s autochtones continue d’augmenter : 234 personnes issues de 71 peuples autochtones différents ont été élues dans plusieurs villes lors des municipales de 2020 contre seulement 169 en 2016. Parmi elles, 31 sont des femmes, deux fois plus qu’en 2016. Or, selon la seule députée fédérale, Joênia Wapichana (pour le parti Rede, de l’État de Roraima), la plupart de ces femmes reçoivent encore moins de soutien financier que les hommes autochtones pour leurs campagnes électorales ou pour se défendre des agressions quotidiennes. Ces agressions ne sont que les reflets de la violence contre les peuples autochtones : l’augmentation des assassinats des leaders autochtones devrait être perçue comme un crime politique également car elle dénote l’intention de les éliminer des espaces et des processus politiques. 
                                        
Les femmes noires ont une expérience comparable dans les espaces politiques, selon l’étude réalisée par l’Institut Marielle Franco en 2021. Au total, 98,5 % d’entre elles (élues ou non155) ont souffert de la violence politique : 62 % disent avoir souffert de violences psychologiques, 42 % de violences physiques et 32 % d’agressions sexuelles. Parmi ces femmes, 44 % déclarent que la nature de l’agression était raciste156. Enfin, l’espace virtuel est la principale scène des crimes de violence politique contre les femmes : 78 % d’entre elles sont harcelées en ligne. 
                                        
Depuis 2020, des réponses politiques sont actées, mais pas encore mises en œuvre. En août 2021, une nouvelle loi qualifie de crime dans le Code électoral « toutes les actions qui visent à harceler, embarrasser, humilier ou menacer des femmes dans l’exercice de leurs droits politiques et de leurs fonctions publiques ». Cette loi détermine, par ailleurs, que les statuts des partis politiques doivent contenir des règles de prévention et de sanction au sein de leur organisation. 

Exemple de résistance :

En décembre 2021, le vice- procureur général électoral, agent du ministère public fédéral, a créé un groupe de travail pour combattre ce type de violence, anticipant déjà ce qui pourrait se produire lors des élections de 2022. Ce qui inquiète les observateurs nationaux et internationaux est la fragilisation du système électoral par le président de la République lui- même. Le rapporteur spécial des Nations unies a ainsi mis en garde en mai 2022 contre les rumeurs qui jettent le doute sur le processus électoral électronique sans apporter aucun fait ou évidence. Un scénario comparable à celui de l’invasion du Capitole à Washington est dans l’imaginaire des promoteurs.trices de la violence, comme de celles et ceux qui défendent la démocratie. 

 


Les chiffres :

18% des femmes politiques sont la cible d’agressions physiques contre des élu.e.s, 31 % des cas de menaces et 76 % des cas d’offenses. 
 

Citation

« La violence politique est en train de détruire la démocratie brésilienne. » 
                                        
Clément Nyaletsossi Voule, rapporteur spécial des Nations unies sur le droit de réunion pacifique, lors d’une conférence de presse le vendredi 8 avril 2022. 

 

Notes :

153. PICHARD, Guy. « Persécutions, diffamation, menaces de mort : au Brésil, Bolsonaro force les lanceurs d’alerte à s’exiler », Basta !, 8 septembre 2021.                                                  
                                                        
154. « Violence politique et électorale au Brésil – Aperçu des violations des droits humains de 2016 à 2020 », publié par les ONGs Terra de Direitos et Justiça Global.                                                  
                                                                                                           
155.Membre des mandats collectifs, voir glossaire de l’Observatoire de la démocratie brésilienne. 
                                        
156. Les éditions 2021 et 2020 du rapport « Violence politique de genre et de race » par l’Institut Marielle Franco sont disponibles en ligne en portugais https://www.violenciapolitica.org/