Le scénario des violences contre la presse s’est intensifié en 2021, année qui a marqué le plus grand nombre d’agressions, soit 430, contre des journalistes et des médias, enregistrées par la FENAJ- Fédération nationale des journalistes157 depuis le début de la série historique dans les années 1990. Les cas de censure ont atteint 140, dont 138 ont été commis au sein de l’EBC (Entreprise brésilienne de communication), actuellement transformée en espace de propagande du gouvernement fédéral et sous la menace d’une privatisation. 
                                                
À lui seul, Jair Bolsonaro reste le principal auteur d’agressions, avec plus de 34 % des attaques documentées par la FENAJ : 129 épisodes de discrédit de la presse et 18 attaques verbales. La catégorie « discrédit » a dû être créée en 2019 en raison de la posture du président de la République et de ses alliés qui attaquent systématiquement, sur leurs réseaux sociaux, les journalistes dans l’exercice de leurs fonctions. 
                                        
Les chiffres de l’Abraji (Association brésilienne du journalisme d’investigation) sont similaires158. L’organisation a recensé 453 attaques contre des professionnels de la communication et des médias en 2021 : 69 % d’entre elles ont été menées par des agents de l’État. Le rapport révèle l’aggravation de ce scénario au fil des ans. Entre 2020 et 2021, par exemple, les cas d’agression ont augmenté de 23,4 %. De 2019 à aujourd’hui, cette augmentation atteint 248,5 %. Ce n’est pas pour rien qu’en 2021, le pays est entré dans la zone rouge du classement mondial de la liberté de la presse de Reporters sans frontières159. 
                                        
La banalisation des attaques contre la presse est telle que, rien qu’entre mars et juillet 2021, Reporters Sans Frontières (RSF) et l’Institut technologie et société de Rio ont enregistré un demi-million de messages contenant des hashtags d’attaque contre la presse, uniquement sur Twitter. Le principal groupe d’agresseurs virtuels est celui qui soutient le gouvernement fédéral sur les réseaux. Les grands groupes de médias, considérés comme critiques du gouvernement par ses partisans, et les femmes journalistes sont des cibles privilégiées. Environ 20 % du nombre total de tweets publiés l’ont été par des comptes présentant une forte probabilité de comportement automatisé. 
                                        
Les campagnes de désinformation contre les professionnels de la communication et les défenseurs des droits humains persistent également. Une recherche de Gênero e Número avec RSF a montré que cette pratique, couplée à la violence politique en ligne contre les femmes journalistes et les personnes LGBTQIA+, a impacté 55 % des professionnels interrogés en 2021, suscitant chez 15 % d’entre eux des problèmes de santé mentale. 
                                        
Depuis 2020, le Parlement brésilien discute d’un projet de loi visant à réguler les plateformes, à réduire les attaques de masse sur les applications de messagerie, à révéler les comptes automatisés et à fixer des règles pour l’utilisation des comptes par les autorités publiques. Le projet de loi 2630/20 rencontre toutefois une forte résistance de la part des entreprises, mais aussi du gouvernement fédéral, qui a tenté, en septembre 2021, d’interdire aux réseaux sociaux de modérer les contenus. L’objectif du gouvernement Bolsonaro est d’empêcher l’action des plateformes contre les comptes qui propagent désinformation et discours violents. 
                                        
Au Parlement, le gouvernement travaille également à modifier la législation pour faire face au terrorisme, en assouplissant les concepts et les actions qui permettraient de qualifier les activités des mouvements sociaux d’actes terroristes et de les criminaliser en conséquence. 

Exemple de résistance : L’ASSASSINAT POLITIQUE DE BRUNO PERREIRA ET DOM PHILIPPS, DÉFENSEURS DE LA FORÊT

 

Bruno Pereira, expert indigéniste brésilien, et Dom Phillips, journa- liste correspondant britannique, ont été vus pour la dernière fois le 5 juin 2022, près d’Atalaia do Norte dans la vallée de Javari, à l’ouest de l’Amazonie brésilienne. Le 15 juin, la police brésilienne a finale- ment annoncé avoir retrouvé leurs corps. Ils sont les nouvelles victimes de la guerre menée par Bolsonaro et les groupes po- litiques alliés de l’agrobusiness contre l’environnement et les peuples de la forêt. Pourtant, comme le dit Eliane Brum dans une tribune du 16 juin 2022, « la mort vio- lente des autochtones, des paysans, des leaders indigènes, des écologistes est fré- quente. Pas celle de journalistes. […] La disparition de Dom Phillips et Bruno Perei- ra marque un basculement dans la guerre contrel’Amazonie160 ».Elle est rejointe par Patricia Campos Mello, actuelle directrice de l’Association brésilienne de journa- lisme d’investigation (Abraji), qui décrit une « rhétorique de déshumanisation des journalistes » par le gouvernement et par Bolsonaro en particulier. 
                                                
Ces dernières années, l’Amazonie brésilienne est devenue plus risquée pour les gardiens de la forêt, ainsi que pour les journalistes. Le gouvernement fédéral ainsi que les États et les municipalités tolèrent de plus en plus des activités criminelles devenues courantes. Dès le début de l’enquête sur l’assassinat de Bruno et Dom, l’Amazon Advisory Committee of the Pulitzer Center’s Rainforest Journalism Fund a apporté son soutien financier pour que des journalistes puissent faire la lumière sur les faits. Ce n’est pas toujours le cas. Depuis deux ans, peu de progrès ont été réalisés dans l’enquête portant sur l’assassinat de l’indigéniste Maxciel Pereira dos Santos, le 6 septembre 2019, sous les yeux de sa famille, dans cette même vallée de Javari.

 

Les chiffres :
 
Augmentation de 248,5 % des attaques contre des professionnel.les de la communication et des médias entre 2019 et 2022 

Citation

« Le travail de terrain de Dom Phillips et Bruno Pereira était encore plus important, car il garantissait, même dans les conditions les plus difficiles, le droit de la population à accéder à l’information. » 
                                        
Communiqué, collectif d’organisations de journalistes 

 

Notes :

157. Rapport de la Fédération nationale des journalistes (FENAJ), 2021. Les attaques contre les journalistes et le journalisme restent élevées et totalisent 430 cas en 2022, « Ataques a jornalistas e ao jornalismo mantêm patamar elevado e somam 430 casos em 2021 » [en ligne], 22 janvier 2022. 
 
158. Rapport de suivi des attaques contre les journalistes au Brésil, 2022, Association brésilienne de Journalisme d’Investigation (Abraji). [en ligne], 07 avril 2022.                                                  
                                                        
159. Classement RSF 2021 : les analyses régionales, Reporters Sans Frontière.